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Coach ou psy : le piège

Article co-écrit par Nathaël MOREAU et Fanchic BABRON

Le travail de supervision que nous menons tous les deux met en évidence la difficulté que peuvent avoir les coachs débutants (ou expérimentés parfois) avec cette question de la différence entre coaching et psychothérapie. Largement commenté par nos instances professionnelles et les auteurs reconnus dans nos métiers, ce thème prend de l’importance avec l’hypermodernité : développement de la culture du bien être et de la « maitrise de soi » et confusion des frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle, familiale, sociale. Nous partageons souvent tous les deux sur ce thème et vous proposons quelques réflexions tirées de nos échanges.

D’abord des constats liés à la pratique du coaching en entreprise :

1.       En tant que coachs, nous pouvons être confrontés à des situations où des pathologies, des déviances, et plus généralement des souffrances sont exprimées. Cela est vrai pour toute personne intervenant en entreprise, dans le cadre d’une mission d’accompagnement de personnes ou d’équipes (conseil, formation, …). Le cadre particulier qu’induit le coaching peut favoriser l’expression ou l’observation de ces situations.

2.       Il peut y avoir de la part même des entreprises (DRH, Dirigeants) la tentation de « sous-traiter » la gestion des personnalités difficiles, ou bien les tensions relationnelles, les conflits, bref, les situations où le management trouve ses limites. Ce phénomène connu de « hot patatoe » met le coach dans une situation embarrassante, surtout s’il méconnait le principe du triangle dramatique.

3.       La personne coachée, évoquant une situation de management, peut être amenée à décrire des choses plus personnelles, des difficultés rencontrées dans son histoire, exprimant alors des émotions réactivées.

4.       De toute façon, le coaching s’inscrit dans le champ de la relation d’aide : dans la mesure où il fait appel à l’écoute active, l’empathie, la confrontation bienveillante. Il a de fait une dimension potentiellement thérapeutique. Mais, il est aussi potentiellement une relation d’influence, de manipulation, ou d’activation de jeu psychologique et autres rackets.

Le risque pour le coach, confronté à cette réalité du mal être, de la souffrance ou de la déviance, est multiple.

D’abord, il y a le risque du sentiment de toute puissance. Nous avons en tête des expériences de « jeunes coachs » tout frais émoulus de leur formation, confondant les modèles et grilles de lecture qui leur avaient été présentés avec la réalité. Nous pensons aussi à ces coachs qui prétendent décrire la personnalité de leur client après un premier (court) entretien, ou qui nous disent « je l’ai bien fait avancer aujourd’hui ».

Il y a le risque pour le coach de formuler un projet pour son client : soit de vouloir absolument l’aider (et pourquoi pas le sauver), soit de vouloir développer des savoir être ou des savoir faire que le client lui-même n’a pas évoqués, ou encore d’engager le travail sur des scénarios d’avenir que seul le coach envisage. Il peut y avoir chez le coach le désir de développer le bien être de son client à tout prix : parce que cela est à la mode, parce que la situation dans laquelle se trouve le client émeut le coach, parce que le coach aimerait bien se sauver lui-même…

Il y a dans les entretiens de coaching des relations transférentielles non maitrisées : au moins par le client, et souvent par le coach. Chacun peut devenir pour l’autre une surface de projections. Le coach peut s’identifier à son client, ou bien projeter sur lui ses propres représentations. Il peut aussi subir les projections de son client en ne les identifiant pas, et en ne mettant pas la distance nécessaire. Par sa posture d’écoute empathique et de confrontation bienveillante, le coach peut se voir assimilé à un Idéal du Moi, une sorte de modèle « sachant » et supposé serein face aux turbulences de l’entreprise et la responsabilité des managers.

Pour le coach, le fait de se trouver devant une personne qui expose des difficultés personnelles peut procurer un sentiment de réconfort, parfois de supériorité : la position de vie OK-/+ passe en OK+/-, ou dit autrement, le Moi Idéal du coach est exacerbé (un « Moi boursouflé »). Le danger est bien le sentiment d’omnipotence et d’omniscience, induisant un rapport malsain entre le coach et son client.

Parfois, c’est l’entreprise elle-même qui met le coach dans une situation plus proche de la thérapie que du coaching. Cela peut être le cas lorsqu’elle est confrontée à une personnalité difficile ou déviante, ou bien lorsqu’une souffrance psychique devient trop forte pour un individu. Le coach peut être appelé comme un « sauveur magique », un recours facile, qui évite de « faire du bruit », ou de demander l’intervention du médecin du travail. Lorsque la demande est ambigüe, peu explicite, il peut être difficile pour le coach de refuser d’intervenir. Et puis, cela est tellement tentant pour certains…

Ce cas d’instrumentalisation du coach par l’entreprise est d’autant plus délicat qu’il peut cacher une problématique plus grave : la déviance ou la souffrance d’un individu peut être l’expression symptomatique d’une pathologie du collectif, d’une déviance ou d’une souffrance de l’organisation. Traiter le cas individuel peut être une manière, consciente ou pas, de ne pas aborder le vrai problème. Le coach se fait alors le complice de ce déni ou de cette résistance.

Résumons les choses : le coaching et la thérapie sont deux situations différentes. Pour au moins trois raisons :

1.       L’entreprise n’est pas le lieu de la thérapie. D’abord parce que le simple fait d’une prise en charge économique du coaching par l’entreprise n’est pas compatible avec la nécessaire responsabilisation du patient (et la question de la valeur symbolisée par le prix de la séance thérapeutique).

2.       Le coach n’est pas suffisamment préparé, dans la majeure partie des cas (combien de coachs avons-nous rencontrés, certifiés par des organismes qui « imposaient » un travail sur soi, et qui ne l’avaient pas encore initié sérieusement). Seul un travail sur soi approfondi permet de traiter les zones aveugles et la part d’ombre, de savoir gérer les transferts et contre-transferts, de mettre la distance suffisante, de régler la question du rapport à l’argent, ou à la toute puissance. Et puis, la plupart des coachs n’ont pas les connaissances requises en psychopathologie.

3.       Enfin, la personne coachée n’est pas demandeuse, en tous cas pas de manière explicite.

En réalité, il y a une différence de « centration » :

·       le travail thérapeutique est centré sur soi, soi et son vécu, soi et son environnement social,

·       alors que le coaching est centré sur les enjeux de l’entreprise, sur soi et l’entreprise, soi et ses rôles au sein de l’entreprise, soi et les autres acteurs de l’entreprise et de son environnement.

La frontière est nette mais les situations réelles sont parfois complexes et peuvent laisser le coach débutant hésiter face à l’attitude à adopter. Lors d’un entretien de coaching, il s’agit d’accueillir ce qui est énoncé par la personne coachée, … mais sans la précéder, ni creuser : le client peut évoquer des situations non professionnelles, parler de son vécu, de son histoire personnelle ; le rôle du coach est d’écouter, tout en se gardant d’encourager son client à approfondir. Vient ce qui vient, sans avoir à le comprendre ni à le traiter.

Une autre recommandation est de poursuivre le travail sur soi et la supervision, afin de garder la vigilance nécessaire vis-à-vis des zones aveugles et des parts d’ombre. Ce travail peut être complété utilement par une formation initiale à la psychopathologie et à la psychologie clinique (Lyon II propose des postcasts intéressants à ce sujet).

Enfin, le coach doit être en capacité d’aider un client visiblement en souffrance à prendre conscience de l’intérêt pour lui d’un travail thérapeutique ou d’une consultation médicale.

Fanchic BabronComment